La gestion des parasites internes du mouton

par Janet Wallace

L’objectif de la production de mouton biologique est de gérer, et non d’éliminer les parasites internes.

 

Un animal en santé peut tolérer un nombre peu élevé de parasites. Cependant, une charge parasitaire importante, particulièrement chez un animal stressé, peut réduire le gain de poids, nuire à la condition, causer l’anémie et même la mort. La clé est d’avoir des animaux en santé et une exposition minimale aux parasites.

Pour éviter l’accumulation des parasites dans les pâturages et chez les animaux, les agriculteurs biologiques mettent l’accent sur la rotation des pâturages, la nutrition et la sélection des races/individus. Parfois, un vermifuge synthétique peut être nécessaire et est permis sous certaines conditions (se référer au texte encadré).

Pour gérer les parasites internes, les chercheurs de la GSB, menés par le Dr Andrew Peregrine, en apprennent davantage sur le cycle de vie des parasites dans les bergeries canadiennes.  Les parasites internes les plus communs et les plus problématiques chez le mouton canadien sont Trichostrongylus sp, Haemonchus contortus (le ver « enseigne de barbier » ou strongle), et Teladorsagia circumcincta (strongle brun de l’estomac).1 Leurs vies sont partagées – dans les pâturages et dans les corps des moutons – tel que décrit ici-bas.

La norme biologique canadienne (alinéas 6.7.4 et 6.7.9) exige que les agriculteurs « adoptent un plan complet visant à minimiser les problèmes de parasites chez les animaux d'élevage ». Les agriculteurs peuvent utiliser des parasiticides (vermifuges chimiques) dans les circonstances suivantes :

  • Un vétérinaire a prescrit le médicament et en a spécifié le dosage.
  • Les périodes de retrait doivent être le double des exigences prévues sur l'étiquette, ou de 14 jours, selon la plus longue des deux périodes;
  • Il ne doit y avoir qu'un traitement pour les animaux de boucherie de moins d'un an et un maximum de deux traitements pour les animaux plus vieux (s’ils en reçoivent plus, ils perdront leur statut biologique).
  • Une brebis peut être traitée pendant sa période de gestation.

Au pâturage

Les participants de la GSB dans un pâturage. Photo de Laura Falzon. Les œufs des parasites sont excrétés par le mouton infecté. À l’intérieur des boulettes fécales, la larve croît et se développe. À 15– 20°C, il faut jusqu’à trois semaines pour que les œufs éclosent et atteignent le stade infectieux. Dans des conditions humides et chaudes, les larves peuvent se déplacer jusqu’à 30 cm des boulettes fécales et monter à 5 cm de hauteur sur les brins d’herbe.

La température optimale pour les vers de la diarrhée noirâtre et les strongles bruns de l’estomac est 16–30°C, alors que le hémonchus préfère les conditions humides et chaudes (25– 37°C).

Lors de gels ou de conditions très sèches, les larves peuvent devenir dormantes. Plusieurs peuvent survivre aux hivers canadiens pendant la dormance. Cependant, les Drs Peregrine et Menzies  ont observé que H. contortus ne survit pas bien à l’hiver dans les pâturages. D’après la chercheuse Linda Falzon de l’Université de Guelph, « Très peu d’hémonchus (qui sont considérés comme les plus pathogènes, car ils se nourrissent de sang) survivent bien dans les pâturages. Ceux qui survivent ne sont pas très infectieux au printemps; c’est pourquoi les pâturages peuvent être considérés comme étant essentiellement dénués d’hémonchus après l’hiver. »

Dans l’intestin

Après avoir été ingérés, les vers muent et se nourrissent des protéines et du sang des moutons. À ce stade, les parasites peuvent faire l’une de ces deux choses :

  1. Pendant la saison du pâturage, les larves se développent pour devenir adultes et pondre des œufs, qui sont excrétés de deux à trois semaines après que la larve fut ingérée.
  2. Si elle est ingérée par les brebis tard en été, la larve demeure souvent inactive pendant tout l’hiver. Pendant ce temps, elle ne crée aucun symptôme et n’est pas détectable dans les tests fécaux (qui comptent les œufs des vers).

Chez les brebis, ces larves arrivent à maturité juste avant l’agnelage, quand le système immunitaire de la brebis est stressé; c’est la hausse périnatale du compte d’œufs (HPCO). La brebis peut abriter un grand nombre d’œufs qui peuvent contaminer les pâturages et affecter les jeunes agneaux qui paissent avec elle. Les agneaux élevés avec les brebis à l’intérieur des bergeries ou lorsque le sol est couvert de neige éviteraient l’infection. Cette culmination du compte de parasites peut aussi causer une maladie parasitaire chez les brebis.

Éviter l’infection

Les agneaux sevrés devraient paître dans les pacages  les plus propres. Photo de Laura Falzon. Le stress, incluant le stress nutritionnel, affaiblit l’immunité du mouton. Le système immunitaire des brebis pluripares a tendance à être plus stressé et abriter des charges parasitaires plus importantes que celui des brebis qui ne portent qu’un seul agneau.

Une bonne diète aide l’animal à tolérer et à résister aux charges parasitaires. Maintenir un bon plan de nutrition chez les brebis avant et après l’agnelage peut réduire la charge parasitaire et minimiser les effets des vers. La diète doit particulièrement contenir des taux adéquats de protéines digestibles dans l’intestin grêle (p.ex. les fèves de soja rôties).

Certains fourrages, tels que le lotier corniculé, la chicorée et le sainfoin, contiennent des tannins condensés qui peuvent réduire les infections parasitaires chez le mouton.2,3,4 Les tannins condensés inhibent les parasites et haussent la résistance du mouton en améliorant la digestion des protéines. Les animaux ne devraient pas être nourris exclusivement de ces plantes, qui devraient plutôt faire partie d’un mélange de fourrage. Utiliser des pacages incluant des arbres, particulièrement des saules et des conifères, peut aussi réduire les infections parasitaires.5

Réduire l’exposition aux parasites

La rotation des pâturages peut aider à y prévenir l’accumulation de parasites. Les chercheurs ont observé que le mouton en rotation intensive de pâturages (p.ex., cinq jours par pâturage) a tendance à avoir un compte d’œufs moins élevé que ceux maintenus en longues rotations.6 Une rotation moins intensive qui fait bouger les moutons chaque deux à trois semaines (une fois que le fourrage est pu à une hauteur de 1.5 cm) permettra de maintenir la qualité du fourrage et de réduire les populations de parasites à un certain niveau. Cependant, les larves peuvent demeurer au stade infectieux jusqu’à trois mois en été. Le surpeuplement exacerbe les problèmes parasitaires.

Les pâturages lourdement contaminés devraient être mis de côté pour une année ou être labourés et réensemencés avec du fourrage ou des plantes de grande culture. La rotation des pâturages avec des bovins aide à contrôler les parasites tout en maintenant la qualité du fourrage. Cependant, les chèvres abritent les mêmes parasites que les moutons.

Un chaume épais protége les vers du gel discontinu et du soleil (qui les assèche, ce qui affecte leur survie et leur développement). Pour réduire le chaume, les agriculteurs peuvent couper et damer les pâturages ou y faire paître bovins et chevaux.

Protéger les moutons les plus vulnérables de l’exposition

Dans la mesure du possible, les agriculteurs devraient éviter de faire paître les moutons, surtout les agneaux et les brebis en gestation ou lactation, dans des pâturages humides. Les rosées denses du matin et les températures pluvieuses permettent aux larves de se déplacer vers le haut de l’herbe où elles auront plus de chance d’être ingérées par les moutons.

Les agneaux naissent sans être immunisés contre les parasites. Les agneaux nés dans un pâturage sont exposés à des taux élevés de parasites depuis le début, car les brebis relâchent un nombre élevé d’œufs au temps de l’agnelage.

Les périodes de pointe de l’infection varient chez les agneaux. Au cours des étés chauds et humides, le pic d’infections peut survenir tôt en été. Si l’été est frais, le pic peut ne survenir qu’en automne. Après quatre ou cinq mois d’exposition aux vers, les agneaux développent une immunité qui les aide à résister aux infections parasitaires.

Le calendrier de l’agnelage et du sevrage affecte les charges parasitaires. L’une des options est d’agneler tard en hiver et de faire le sevrage (à l’âge de 5-6 semaines) avant que les brebis ne sortent au pâturage. De cette façon, les agneaux ne seront pas exposés à des charges élevées de parasites relâchés par les brebis.

Le stress du sevrage rend les agneaux plus vulnérables aux infections parasitaires. On peut choisir d’envoyer les agneaux au marché avant le sevrage. Les agneaux sevrés devraient paître dans les pâturages les plus propres, tels que ceux utilisés l’été précédent pour faire paître les brebis, non pas les agneaux. (Les antenais et brebis non lactantes relâchent moins d’œufs que les agneaux).

Quel mouton vermifuger

L’équipe de recherche de la GSB qui étudie les parasites du mouton ne recommande pas aux producteurs de traiter tous leurs troupeaux à des moments spécifiques. Ils recommandent plutôt de :

  • Surveiller les animaux en faisant le compte d’œufs dans les fèces, en notant le gain de poids, en surveillant la maladie de la bouteille et la diarrhée et en utilisant la méthode FAMACHA.*
  • Traiter seulement quand c’est nécessaire;
  • Ne traiter que les animaux qui ont besoin du traitement.

Pour le traitement des brebis en gestation, le Dr Menzies suggère de traiter les brebis qui agnèlent pour la première fois, les brebis pluripares er les brebis dont l’état corporel est médiocre.

Les agneaux peuvent être surveillés au cours de l’été en vérifiant leur condition et gain de poids, et par le compte d’œufs dans les fèces. Pour prévenir la maladie et la mort, les agneaux devraient être traités quand ils montrent des signes de parasitisme ou lorsque les comptes d’œufs dans les fèces sont élevés.

Certains vermifuges (p.ex. les benzimidazoles) sont plus efficaces lorsque le mouton a jeûné de 12 à 24 heures avant le traitement. Les vétérinaires peuvent prodiguer des conseils relatifs à l’utilisation de ces médicaments.

Prévenir la résistance aux vermifuges  

Idéalement, les agriculteurs devraient faire chaque année ou tous les deux ans une rotation des familles de médicaments. Cela réduit le risque de résistance davantage qu’en alternant les médicaments d’un traitement à l’autre dans la même année.

Pour éviter de développer la résistance parasitaire, les chercheurs recommandent de faire paître les moutons dans des pâturages légèrement contaminés pendant trois à cinq jours après l’application du vermifuge. Le mouton ingérera alors certains parasites non résistants mais la charge parasitaire demeurera peu élevée. Après 3-5- jours, les animaux peuvent paître dans un pâturage propre. Le mouton sera donc infecté tant par des parasites résistants que sensibles. Le nouveau pâturage hébergera bientôt des parasites, mais les populations seront basses et ne seront pas dominées par des parasites résistants.

Les solutions de rechange aux vermifuges chimiques

Il existe des preuves anecdotiques qui soutiennent l’utilisation d’herbes diverses pour traiter ou prévenir les infections parasitaires chez le mouton et la chèvre. Le plus souvent, l’efficacité de ces herbes n’a pas été scientifiquement évaluée. Il y a des preuves de l’action antiparasitaire produite par:8,9,10,11

  • l’ail,
  • divers types d’absinthe (Artemisia spp.),
  • l’eucalyptus,
  • la tanaisie,
  • la fumeterre (Fumaria parviflora),
  • les graines de citrouille, et
  • l’huile de neem.

Cependant, pour la plupart de ces plantes, seulement une ou deux études ont été menées, ou bien les multiples études qui ont été menées ont produit des résultats contradictoires. La terre de diatomées dans les aliments a aussi été suggérée comme vermifuge mais il n’y a aucune preuve scientifique de son efficacité.

Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été 2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche. Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada, Ontario Sheep Marketing Agency, Canadian Sheep Breeders Association et Gartshore Memorial Sheep Fund.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la Fédération biologique du Canada.


Références

  1. Mederos, A, S Fernández, J VanLeeuwen, AS Peregrine, D Kelton, P Menzies, A LeBoeuf & R Martin. 2010. Prevalence and distribution of gastrointestinal nematodes on 32 organic and conventional commercial sheep farms in Ontario and Quebec, Canada (2006–2008). Vet. Parasitol. 170:244–252.
  2. Douglas, GB, M Stienezen, GC Waghorn & AG Foote. 1999. Effect of condensed tannins in birdsfoot trefoil (Lotus corniculatus) and sulla (Hedysarum coronarium) on body weight, carcass fat depth, and wool growth of lambs in New Zealand. New Zeal. J. Agr. Res. 42(1):55–64.
  3. Min, BR & SP Hart. 2003. Tannins for suppression of internal parasites. J. Anim. Sci. 81:102–109.
  4. Niezen, JH, GC Robertson, GC Waghorn & WAG Charleston. 1998. Production, fecal egg counts and worm burdens of ewe lambs which grazed six contrasting forages. Vet. Parasitol. 80:15–27.
  5. Diaz Lira, CM et al. 2008. Willow (Salix spp.) fodder blocks for growth and sustainable management of internal parasites in grazing lambs. Animal Feed Sci. and Tech. 141(1):61–81.
  6. Colvin, AF, SW Walkden-Brown, MR Knox & JM Scott. 2008. Intensive rotational grazing assists control of gastrointestinal nematodosis of sheep in a cool temperate environment with summer-dominant rainfall. Vet. Parasitol. 153(1–2):108–20.
  7. Menzies, P et al. 2008. Handbook for the Control of Internal Parasites of Sheep. University of Guelph.
  8. Allan, J & P Doherty. 2008. Identifying and testing alternative parasiticides for the use in the production of organic lamb. OFRF report.
  9. Burke, JM, A Wells, P Casey & JE Miller. 2009. Garlic and papaya lack control over gastrointestinal nematodes in goats and lambs. Vet. Parasitol.
    159(2):171–174.
  10. Rahmann, G & H Seip. 2007. Bioactive forage and phytotherapy to cure and control endo-parasite diseases in sheep and goat farming systems: a review of current scientific knowledge. In: Landbauforschung Völkenrode, pp. 285–295.
  11. Lans, C, N Turner, T Khan, G Brauer & W Boepple. 2007. Ethnoveterinary medicines used for ruminants in British Columbia, Canada. J. Ethnobiol. Ethnomed. 3(11):1– 22.

    *Les vétérinaires (ou les agriculteurs qui ont reçu la formation pour la méthode FAMACHA) comparent la couleur de l’intérieur de la paupière inférieure à des cartes de pointage pour identifier les individus infectés par H. contortus. Veuillez noter que les cartes de pointage en ligne peuvent être inexactes.

Pour en apprendre davantage sur la gestion des parasites chez le mouton, consultez :