Vaches laitières biologiques

Santé et bien-être

par Jane Morrigan

Un verre de lait froid biologique… Vous n’êtes pas seul à trouver que c’est appétissant en ce jour d’été canadien.

 

Une génisse en santé du troupeau Moonstruck Cheese de la C.-B. Photo de Janet Wallace. Le nombre de fermes laitières biologiques est à la hausse à travers le pays, en proportion de l’intérêt croissant des consommateurs à l’égard du traitement humain accordé aux animaux d’élevage sous régie biologique.

Comme l’industrie laitière biologique est en croissance, les défis liés à la production et au bien-être sont abordés de front. Les chercheurs canadiens étudient comment les pratiques de production affectent la santé, le bien-être et la qualité du lait des animaux. Le bien-être est lié au confort et à la production de la vache : le bien-être physique et mental des vaches laitières est intrinsèquement lié à leur qualité de vie et longévité.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) a entrepris de cibler plusieurs objectifs dans le cadre d’une grande étude sur l’industrie laitière menée par le Dr Trevor DeVries à l’Université de Guelph. L’un des objectifs est d’évaluer la santé et le bien-être des vaches laitières. Un autre vise à identifier les agents pathogènes communs de la mastite et leur incidence. Les résultats aideront les agriculteurs à choisir des techniques qui optimisent la santé et la production laitière des bovins. L’étude établira également des points de référence qui seront utilisés par les producteurs et les chercheurs pour évaluer les améliorations ou détériorations des pratiques de gestion des troupeaux.

L’étude a compilé les données de 59 troupeaux laitiers du sud de l’Ontario; 41 sont sous régie conventionnelle (12 avec accès au pâturage pour les vaches en lactation, 29 sans accès au pâturage) et 18 sous régie biologique. Les comparaisons ont été faites non seulement entre les troupeaux sous régies conventionnelle et biologique, mais également entre les troupeaux ayant accès au pâturage et ceux n’ayant pas accès, et ceux en logettes, en stalle entravée et étables à aire ouverte.

Les opportunités d’améliorations

Les résultats préliminaires présentés par la Dre Anita Tucker, chercheuse de la GSB de niveau postdoctoral, révèlent que les producteurs laitiers, incluant les producteurs biologiques, peuvent améliorer les éléments suivants :1

1. L’état corporel des vaches
En utilisant le système de notation standard, soit Score 1 pour l’état de maigreur et Score 5 pour l’état obèse, les vaches laitières biologiques avaient une note d’état corporel (NEC) moyenne de 2.27. Les notes idéales s’échelonnent de 3 à 3.5, mais la moyenne des troupeaux tant conventionnels que biologiques de cette étude se situait sous ce niveau.

2. Lésions du jarret
Les vaches logées en stalles entravées ont plus de lésions que les vaches en logette. Les lésions du jarret sont des plaies sur l’articulation médiane de la patte arrière de la vache. Les plaies vont de la perte du poil à des lésions ouvertes et articulations enflées. Elles peuvent être douloureuses et peuvent être causées par une gestion et une conception inadéquates des stalles. Des éléments tels qu’une litière insuffisante, des aires de couchage étroites et des barres d’arrêt mal placées peuvent influer sur le nombre de cas et la sévérité des lésions du jarret.

3. La propreté des vaches
La propreté des vaches ou l’hygiène est généralement considérée comme étant une bonne indication de la propreté générale de l’environnement des vaches. Une hygiène pauvre est associée aux maladies telles que les mastites. L’étude a montré que les vaches en logettes n’étaient pas aussi propres que celles en stalles entravées. Dans l’ensemble, les notes de propreté auraient pu être améliorées tant pour les vaches en logettes que pour celles en stalle entravée. Une fois toutes les données analysées et les corrélations établies, il sera souhaitable que la recherche de la GSB aide tant les opérateurs biologiques que conventionnels à améliorer leurs pratiques de gestion.

Le bien-être animal

Des vaches Holstein en stalle entravée. Photo de Jane Morrigan.Élever des génisses
La pratique courante conventionnelle est de séparer les veaux nouveau-nés et les mères presque immédiatement après le vêlage. Cependant, à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), le Dr Dan Weary et ses collègues ont découvert qu’une génisse de race laitière gagne du poids trois fois plus rapidement si elle reste près de sa mère jusqu’à deux semaines après la naissance. Cette pratique n’affecte pas le rendement total de lait de la vache. Ils ont aussi montré que les veaux de race laitière peuvent être élevés en groupe avec succès, sans problèmes de succion entre les veaux ni augmentation de maladies.2*

Le contrôle de la douleur lors de l’écornage
Un autre sujet de la recherche de Weary est la réduction de la douleur lors de procédures telles que l’écornage des veaux de race laitière.* Sa recherche a montré que l’écornage doit être fait de l’âge de deux à trois semaines. Les méthodes recommandées incluent l’écornage au fer chaud ou l’application de pâte caustique au bourgeon de la corne. Le contrôle de la douleur peut s’effectuer par3 :

  • L’administration au veau d’un sédatif 20 minutes avant la procédure; suivie de                 
  • L’administration d’un analgésique local tel que la lidocaïne de 5 à 10 minutes avant la procédure (non nécessaire pour la méthode de l’application de pâte caustique), et finalement
  • Un médicament anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), tel que le méloxicam,  pour assurer un soulagement pendant plusieurs heures après la procédure.

Une manutention douce pendant la traite
Les Drs Jeff Rushen, Anne-Marie de Passillé, et leurs collègues d’Agriculture et Agroalimentaire Canada au Québec et en C.-B., ont étudié le bien-être animal au cours des trois dernières décennies. Ils ont comparé les effets sur le rendement laitier d’une douce manutention versus une manutention rude au cours de la traite. Ils ont découvert que le rendement en lait était plus élevé pour les vaches qui sont manipulées avec douceur pendant la traite.4 De plus, les vaches manipulées avec douceur avaient des rythmes cardiaques significativement plus bas et il y avait moins de lait dans le pis à la fin de la traite.
 
La conception du logement et le comportement
À l’Université de Colombie-Britannique, la Dre Nina von Keyserlingk a conçu de meilleurs environnements pour les vaches laitières pendant plusieurs années. Elle a élargi nos connaissances sur le comportement des vaches et aidé les producteurs à concevoir des logements et des systèmes de gestion adéquats. Sa recherche a montré que, comme les vaches synchronisent leurs comportements alimentaires et de repos, il doit y avoir suffisamment d’espaces pour que toutes les vaches se nourrissent/ou se couchent en même temps. Keyserlingk a aussi montré que (1) procurer plus d’espace par animal à la mangeoire réduit l’agressivité et augmente l’activité nutritionnelle, et (2) l’installation d’un plancher à surface caoutchouteuse peut réduire la boiterie.5

La boiterie dans les troupeaux laitiers
La boiterie chez les vaches laitières survient à un taux de 25 % dans les troupeaux laitiers canadiens et est un enjeu majeur du bien-être animal.† La boiterie cause la douleur (parfois sévère) et contribue à l’infertilité, à la réduction du rendement laitier, à des frais de soins vétérinaires élevés et à davantage de réformes. Le Dr Rushen et son équipe ont montré que la boiterie est causée par:6

  • Des stalles trop petites;
  • Des planchers en béton rugueux ou abimés;
  • Un drainage insuffisant de l’eau sur les planchers de l’étable et dans la salle de traite;  
  • Des déjections animales sur les planchers;
  • De la rudesse en manipulant des vaches nerveuses;
  • Une alimentation trop riche en grains (en opposition à trop de fourrage) dans les rations des vaches; et
  • Un sabot en mauvaise santé résultant d’un parage inadéquat.

Le stress thermique
La Dre Tina Widowski, du Centre Campbell pour l’étude du bien-être animal à l’Université de Guelph, étudie le stress thermique. Elle souligne que le stress thermique chez les vaches en lactation peut survenir à des températures au dessus de 23°C, et que l’humidité, le soleil direct et une faible circulation d’air augmentent le risque de stress thermique. Elle souligne que le stress thermique peut réduire la production de lait de 10-25 %, particulièrement chez les vaches très productives.

Les signes du stress thermique chez les vaches laitières incluent une prise alimentaire réduite, une respiration légère et rapide, une réticence à bouger,  un manque de coordination, des tremblements, et une hausse de la prise d’eau. Une vache laitière en lactation a besoin de 10 gallons d’eau fraîche et propre par jour quand la température est de 20°C, et de 32 gallons par jour à une température de 35°C.

La prévention du stress thermique peut se faire d’abord et surtout en procurant de l’ombre et un approvisionnement en eau fraîche et propre dans un endroit ombragé. Il devrait y avoir un poste d’eau pour chaque vingt vaches, avec un débit de remplissage de 3-5 gallons par minute.7 De plus, Widowski recommande de : augmenter la circulation d’air; installer des arroseurs dans les aires d’attente; éviter la manutention stressante; réduire les populations de mouches piqueuses; et fournir sur une base de libre choix du fourrage de qualité dans des mangeoires ombragées.7

Savoir quoi faire en cas de maladie

Gérer les mastites
La Dre Léna Levison, une vétérinaire qui a temporairement quitté sa pratique clinique pour obtenir un diplôme de maîtrise à l’Université de Guelph, a participé à l’étude de la GSB menée par le Dr DeVries. Elle a mis l’accent sur la prévention de la mastite, plus particulièrement l’infection intra mammaire.

La mastite chez les vaches en lactation peut réduire la production et la qualité du lait et affecter le bien-être de l’animal en causant de la douleur et de l’inconfort chez la vache infectée.

La mastite est un problème important et est l’une des principales causes de la réforme des vaches laitières. Comme l’utilisation d’antibiotiques est sujette à des restrictions chez les producteurs laitiers biologiques, il est très important que les agriculteurs sachent quelles pratiques de gestion aident à prévenir ou minimiser la mastite.

La recherche de Levison se penche aussi sur l’identification des agents pathogènes communs des mastites dans des échantillons collectés chez les vaches infectées. Elle recherche le lien entre ces agents pathogènes et les pratiques de gestion, incluant le type de logement (p.ex. stabulation libre, stalle entravée ou étable à aire ouverte). Jusqu’à maintenant, les trois principaux agents pathogènes qui ont été identifiés depuis les échantillons collectés par les fermiers participants à des niveaux suffisants pour causer des infections intra mammaires sont Staphylococcus aureus, Streptococcal spp., et les coliformes (tel qu’E. coli).8

La paratuberculose
La paratuberculose est une maladie intestinale chronique et débilitante qui affecte les bovins et autres ruminants. Cette maladie s’est répandue au Canada chez les troupeaux laitiers au cours de la dernière décennie. Les veaux nouveau-nés sont particulièrement vulnérables et peuvent devenir infectés en ingérant des fèces, du lait ou le colostrum de vaches infectées. Malheureusement, il n’existe présentement aucun test fiable pour détecter la paratuberculose ni aucun remède connu.

Le Dr Laura Pieper, du Département de médecine des populations de l’Université de Guelph, et ses collègues cherchent à découvrir si les troupeaux laitiers biologiques sont plus vulnérables à la paratuberculose que les troupeaux des fermes conventionnelles. Les fermes biologiques peuvent présenter de plus grands risques à cause de la pratique qui consiste à garder le nouveau-né avec sa mère ou avec une vache nourricière pour une période de temps prolongée. (Tel que mentionné précédemment, la pratique courante conventionnelle est de séparer le veau nouveau-né de sa mère presque immédiatement après le vêlage.)

Les anticorps de la paratuberculose ont été testés chez les troupeaux en lactation de dix-sept fermes biologiques. Les données ont été comparées avec celles collectées dans les troupeaux laitiers conventionnels de grandeur similaire. Les résultats préliminaires montrent une faible incidence de la maladie dans les troupeaux conventionnels et biologiques. Cependant,  l’étude a révélé que les vétérinaires considèrent les troupeaux biologiques à plus grand risque pour la transmission de la paratuberculose dans l’enclos de vêlage.9

Conclusion

La recherche canadienne en production laitière fournit aux opérateurs biologiques et conventionnels de bons conseils sur les stratégies de gestion qui améliorent le bien-être des vaches laitières et la qualité du lait qu’elles produisent. Levons tous notre verre de lait biologique à leur santé pour les remercier!

Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été 2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche. Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la Fédération biologique du Canada.


Références

  1. Tucker, AL, L Levison, R Bergeron & T J DeVries. 2012. Dairy cow-based measures of welfare on organic and conventional dairy farms in Southern Ontario. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  2. Weary, DM. 2001. Calf management: improving calf welfare and production. In J. Kennelly (Ed.) Advances in Dairy Technology. Vol.13:107–118.
  3. Weary, DW. 2006. Reducing pain due to caustic paste dehorning. UBC 6(4).
  4. Rushen, J, AMB de Passillé & L Munksgaard. 1999. Fear of people by cows and effects on milk yield, behavior, and heart rate at milking. J. Dairy Sci. 82(4):720–727.
  5. Von Keyserlingk, MAG & DM Weary. 2011. The science of cow comfort: building better barns. Proceedings of the 2011 Cornell Nutrition Conference
    for Feed Manufacturers.
  6. Rushen, J, AM de Passille, MAG von Keyserlingk & DW Weary. 2008. The Welfare of Cattle. Springer.
  7. Widowski, T. 1998. Beat the Heat, A Guide to Hot Weather and Shade for Ontario Cattle Producers. Colonel KL Campbell Centre for the Study of Animal Welfare. U. Guelph.
  8. Levison, L, AL Tucker, R Bergeron, HW Barkema & TJ DeVries. 2012. Pathogen identification and incidence rates of mastitis on organic and conventional dairy farms in Southern Ontario. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  9. Pieper, L, DF Kelton, A Godkin & U Sorge. 2012. Risk for Johne’s disease in organic and conventional dairy herds in Ontario. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.