Rotation des cultures

L’étude Glenlea de 19 ans

par Stuart McMillan

Rotation, rotation, rotation. Ce fut répété si souvent que les producteurs biologiques peuvent être excusés de se sentir endoctrinés.

 

Certains jours, on a la sensation que les rotations ont été promues comme étant la solution pour à peu près tous les maux en agriculture, sinon pour la planète entière. Bien que ces propos semblent exagérés, l’insistance mise sur la rotation a été très importante. Il y a de bonnes raisons pour cela, car les rotations ont été identifiées comme pouvant influencer plusieurs aspects des systèmes de cultures. Ce n’est évidemment pas nouveau. Pline l’Ancien a écrit au sujet de la pertinence des séquences des cultures (rotation des cultures) en l’an 77 apr. J.-C.

En 1992, l’étude à long terme Glenlea a été lancée au Manitoba sous la gouverne du Dr Martin Entz. L’étude compare les rotations des cultures dans des champs biologiques, conventionnels et sans intrants, et une prairie restaurée. La prairie restaurée sert de point de référence pour comparer les résultats à ceux des conditions naturelles. L’étude compare également une rotation de cultures strictement annuelles à un système où les fourrages vivaces sont inclus deux ans sur quatre. Cela semble assez simple, mais les résultats ont été tout sauf simples. Au cours des années, l’étude de rotation a permis d’examiner une myriade de questions et offert des opportunités de recherche à un grand nombre d’étudiants des cycles supérieurs et, plus récemment, aux chercheurs de la Grappe scientifique biologique.

Production de cultures

Champ de lin en Nouvelle-Écosse. Photo de Joanna MacKenzie.Le maintien sur près de deux décennies d’une étude sur les rotations permet d’observer les effets cumulatifs, lesquels peuvent être absents des études à plus court terme. Par exemple, il est devenu évident au cours des années que les systèmes fourrage/annuelles assuraient un meilleur contrôle des mauvaises herbes que la rotation uniquement basée sur les cultures annuelles. En dépit du meilleur contrôle des mauvaises herbes, Entz et les autres chercheurs ont réalisé qu’à la longue, l’exportation du fourrage sur deux années de rotation générait de larges pertes de nutriments. La solution est de remettre au champ les nutriments inclus dans les fourrages sous forme de fumier composté. La rotation devient donc un système plus durable. Entz décrit la solution de remplacement, « Lorsque le fourrage biologique est récolté comme foin et que les nutriments du fumier ne sont pas remis au sol comme intrants, le système s’effondre. »1

Les applications de fumier de bovins composté ont également généré une hausse du rendement des fourrages. Avec l’ajout de fumier, les rendements en fourrage biologique ont avoisiné les rendements conventionnels, alors que dans le système sans ajout de fumier, les rendements en fourrage biologique n’égalaient que les deux tiers de ceux de la production de fourrage conventionnel. Entz explique, « S’il n’y a pas de production de fourrage, il n’y a alors pas de fixation d’azote par le fourrage, et le système entier commence à s’effriter. »1

Les rendements de blé biologique ont été substantiellement plus bas que les rendements conventionnels tout au long de la rotation. Cependant, l’ajout de fumier dans la rotation biologique a haussé les rendements de blé.1

Rotations composées uniquement de plantes annuelles
Blé / Pois / Blé / Lin
(conventionnelle et biologique)
Blé / Engrais vert / Blé / Lin (conventionnelle et biologique)
Blé / Lin/ Avoine / Soja (conventionnelle)
Blé / Lin/ Avoine / Engrais vert de féverole à petits grains
(biologique)

Rotations incluant des fourrages
Blé / Luzerne / Luzerne / Lin (conventionnelle et biologique)
Plante annuelle + fourrage : Blé / Lin / Mélange de foin* / Mélange de foin* (conventionnelle et biologique)

* Le mélange de foin comprend la luzerne, le trèfle rouge, la phléole des prés et le dactyle pelotonné.

En somme, les rendements de lin sous régie biologique ne peuvent être comparables au rendement du lin sous régie conventionnelle. Même avec l’ajout de fumier, les rendements de lin sont demeurés anémiques sous régie biologique.1 La culture du lin dans le système de rotation biologique était fortement envahie par les mauvaises herbes. Il y avait moins de mauvaises herbes en culture de lin lorsque les fourrages étaient intégrés à la rotation, mais le niveau de mauvaises herbes demeurait important. Le fumier a stimulé la biomasse des mauvaises herbes pour atteindre 1000-1500 kg/ha. Un taux plus raisonnable de mauvaises herbes dans une culture de lin au Manitoba égalerait 500–600 kg/ha.

Le phosphore

Lorsqu’une expérience est menée pendant plusieurs années, l’impact de certaines pratiques devient évident. Le phosphore (P) a été identifié comme étant une préoccupation constante sur les fermes biologiques dans les études et expériences menées à travers le monde. En 2001, les Drs Entz et Gulden, en compagnie du fermier manitobain Robert Guilford, ont publié les résultats provenant de 13 fermes biologiques de l’est des Prairies canadiennes et du Dakota du Nord.2 Ils ont observé que la plupart des fermes affichaient des taux suffisants d’azote, potassium et soufre, mais que les taux de P du sol étaient bas, parfois extrêmement bas. Cependant, les conclusions globales étaient difficiles à établir à cause des différences subtiles d’une ferme à l’autre en matière de gestion, de type du sol et d’autres facteurs.

Le site de Glenlea a permis à Entz et ses étudiants d’examiner d’une manière contrôlée la dynamique du P sur les terres sous régie biologique pendant plusieurs années. Conséquemment, la dynamique du P a été étudiée à travers le Canada et certains des résultats ont été partagés à la Conférence scientifique canadienne sur l’agriculture biologique de février 2012.

L’une des questions soulevées fut: si le phosphore est dans un tel état de carence, pourquoi cette carence ne se traduit-elle pas toujours par un rendement plus bas? La réponse peut être liée au fait que le P existe sous différentes formes dans le sol. Certaines sont entièrement disponibles pour les plantes et d’autres sont peu ou pas disponibles. La plupart des sols agricoles canadiens ont de larges réserves de P, mais le phosphore n’est pas accessible pour les plantes parce qu’il est étroitement lié à l’aluminium ou au calcium. De 20% à 80% du phosphore du sol peut se trouver sous une forme inorganique moins disponible. L’autre réserve de P est un minéral labile (disponible) ou sous forme organique. Les tests spécifiques du sol ne mesurent que certaines parties des réserves de P.

Rendements
La production biologique ne se limite pas à la simple obtention de rendements maximaux. Il s’agit d’une approche systémique qui équilibre agronomie, écologie et économie. Au cours des années, la rotation Glenlea a mis en lumière les nombreux bénéfices de la rotation biologique.1

En comparaison de la rotation conventionnelle, les rotations biologiques affichaient des taux plus élevés de :

  • pH
  • Carbone biologique du sol
  • Stabilité des agrégats
  • Champignons mycorhiziens à arbuscules
  • Biodiversité des insectes
  • Micronutriments dans les semences de cultures
  • Efficacité énergétique

Les inéquations entre les taux de P relevés dans les tests et les rendements des cultures peuvent être dues en partie à une inexactitude des méthodes de testage. Si les réserves de P organique sont plus élevées sous régie biologique et que les cycles de P sous conditions organiques sont plus rapides, peut-être que le phosphore est plus disponible que certains tests le laissent croire. Kim Schneider a cité une recherche qui a révélé une piètre relation entre les méthodes des tests couramment utilisés au Canada (le test Olsen du P du sol) et le rendement des cultures.3,4 Bien que sa recherche se soit déroulée sur 14 fermes laitières biologiques de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse, les résultats ont été confirmés par les découvertes de Glenlea.

Tandra Fraser de l’Université de Guelph a présenté une recherche qui se penchait sur les différentes méthodes d’extraction de P.5 Ses résultats montrent que la méthode d’extraction spécifique utilisée pour extraire P des les échantillons du sol avait un impact substantiel sur les taux de P mesurés.

L’étude de Fraser était basée sur les travaux menés à Glenlea quelques années plus tôt.6 L’étude de Glenlea a montré que les sources de P les plus disponibles pour les plantes étaient toutes plus basses sous régie biologique, mais que la fraction du P non disponible était similaire sous régies biologique et conventionnelle après 15 ans de régie biologique. Le remplacement du P serait essentiel pour le succès à long terme et la durabilité des rotations des cultures sous régie biologique. L’étude Glenlea a aussi montré une colonisation mycorhizienne plus importante des cultures et des populations mycorhiziennes supérieures sous régie biologique.

Fraser a décrit le rôle des études rotationnelles à long terme telle que celle de Glenlea. « Bien que ce soit intéressant d’aller sur les fermes et d’y prélever des échantillons, » dit-elle, « il est très difficile, voire impossible, de trouver une comparaison biologique/conventionnel avec la même gestion. » 

Kim Schneider a montré que les taux de phosphore étaient similaires entre les fermes laitières biologiques et conventionnelles quand le P non disponible était inclus.3,4 Elle a découvert que sous régie biologique, le P organique était significativement plus élevé dans le sol. De plus, la colonisation par les champignons mycorhiziens à arbuscules (CMA) augmentait au fur et à mesure que diminuait le P mesuré par les tests. La recherche de Schneider soutient les résultats de Glenlea.6 Schneider a trouvé des différences significatives à l’intérieur des communautés de CMA sous régie biologique en comparaison de la gestion conventionnelle. Les différences au niveau de ces espèces peuvent influencer l’absorption du P.

La santé du sol

En agriculture biologique, une vie du sol abondante et diversifiée est requise pour aider à décomposer les matières végétales, recycler les nutriments et construire la structure du sol. Sarah Braman, étudiante de cycle supérieur, a étudié les microorganismes dans le système de rotation de Glenlea.7 Le type de rotation des cultures a eu un effet marquant sur la vie du sol, ayant une plus grande influence en régie biologique qu’en régie conventionnelle. La rotation incluant les fourrages était vraiment meilleure du point de vue microbien.

Les microorganismes étaient beaucoup plus abondants et légèrement plus actifs sous régie biologique. Avec ou sans ajout de fumier, il y avait plus de vie dans les sols sous régie biologique que dans ceux sous régie conventionnelle. La grandeur des populations microbiennes dans les sols biologiques approchait même les niveaux observés dans les prairies restaurées.

Quant aux nutriments contenus dans les microorganismes, la prairie et les systèmes biologiques sans intrants ont accumulé le plus haut niveau de phosphore microbien. Les deux systèmes affichaient aussi un taux élevé de matières organiques du sol. Le carbone dans les matières organiques du sol promeut la rétention du phosphore chez les microorganismes. Tous les systèmes biologiques affichaient un taux du phosphore de la biomasse microbienne plus élevé que les systèmes conventionnels, mais inférieur à celui du système de rotation des prairies restaurées.

Avec le temps, la santé des sols sous régie conventionnelle a diminué.7 Les systèmes biologiques et sans intrants sont plus résilients sous des températures extrêmes que les systèmes conventionnels. Sous régie biologique, la santé du sol peut être mieux maintenue sous des températures extrêmes que sous régie conventionnelle.

Une récente étude de Glenlea avec la Dre Lindsay Bell, de l’Université de Toowoomba en Australie, a montré qu’il peut y avoir un inconvénient aux rotations biologiques, sans égard à l’inclusion de fourrages.8 Sa recherche portait sur le carbone organique du sol à une profondeur de 120 cm. Le système biologique, même avec l’ajout de déjections animales, n’ajoute pas de carbone au sol profond en comparaison du système conventionnel. Bien que ce soit contraire aux attentes, les systèmes biologiques n’étaient pas aussi performants que les conventionnels si seul le contenu en carbone du sol profond était considéré.

L’étude du carbone dans les profondeurs a montré que la parcelle de la Prairie avait des quantités importantes de carbone dans le sous-sol. Entz a suggéré la solution peu conventionnelle qu’à long terme, l’ajout de plantes et de vivaces de la prairie pourrait être nécessaire au maintien de la santé du sol. Comment recréer des communautés de plantes semblables à la prairie dans l’océan de champs agricoles qui caractérisent la région reste à déterminer, mais ces humbles parcelles peuvent orienter l’agriculture dans de nouvelles directions.

Résumé

Entz a analysé les critères suivants dans la rotation de Glenlea :1

  • la performance agronomique (rendement du blé, les populations des mauvaises herbes et les nutriments disponibles);
  • la qualité du sol (matière organique du sol, champignons mycorhiziens);
  • la biodiversité;
  • l’efficacité énergétique; et
  • le risque de pollution par P.

L’étude d’Entz a montré que les rotations les plus performantes étaient: 1) rotation biologique avec fourrages et déjections animales et 2) la rotation conventionnelle avec seulement les annuelles. Les systèmes biologiques étaient plus performants que les systèmes conventionnels pour la plupart des paramètres.  Les systèmes biologiques étaient particulièrement plus performants pour les paramètres environnementaux et les risques de pollution, mais les systèmes conventionnels ont produit des rendements de cultures plus élevés.

Le système biologique basé uniquement sur les grains affichait des limitations et la performance la plus pauvre. L’ajout de compost a inversé les déclins survenus dans le système grain/fourrage après les premières années. Les rendements en blé et la balance du P ont tous deux commencé à s’améliorer après 2007 quand le compost a été réintégré dans le système.

Les rotations à long terme requièrent un financement continu et des contributions physiques pour être poursuivies. Entz a souligné à la fois ce défi et cette opportunité. « Maintenir des études à long terme est un défi, mais une fois que vous pouvez les poursuivre, les gens s’y intéressent. » Après près de vingt ans, la rotation Glenlea a suscité l’intérêt et fait connaître l’agriculture biologique. Tout en soulignant les quelques défis qui doivent être relevés, l’étude a montré les multiples bénéfices acquis à la suite d’une rotation à long terme bien planifiée.

Pour en apprendre davantage sur Glenlea et les Systèmes d’agriculture naturelle, visitez www.umanitoba.ca/outreach/naturalagriculture

Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été 2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche. Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada, la Commission canadienne du blé et l’Association canadienne des producteurs de semences.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la Fédération biologique du Canada.


Références

  1. Entz, M, C Welsh, S Mellish, Y Shen, M Tenuta, JR Thiessen Martens, KC
    Bamford & J Hoeppner. 2012. Multicriteria analysis of the Glenlea Rotation: The first 19 years. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  2. Entz, MH, R Guilford & R Gulden. 2001. Crop yield and soil nutrient status on 14 organic farms in the eastern portion of the northern Great Plains. Can. J. Plant Sci. 81:351–354.
  3. Schneider, KD, RP Voroney & DH Lynch. 2012. Is plant available phosphorus limiting in organic farm soils? Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  4. Schneider, KD, RP Voroney, DH Lynch, M Main, K Dunfield, C Hamel,
    & I O’Hallahan. 2012. Phosphorus availability on organic dairy farm soils:
    A closer look at the evidence. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  5. Fraser, T, DH Lynch, M Entz & K Dunfield. 2012. Soil phosphorus pools and sorption capacity in long-term organic and conventional management systems. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  6. Welsh, C. 2007. Organic Crop Management can Decrease Labile Soil P and Promote Mycorrhizal Association of Crops. Graduate thesis, University of Manitoba, Dept. of Soil Science.
  7. Braman, S, M Entz & M Tenuta. 2012. Soil health after 19 years under organic and conventional agricultural management. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  8. Tenuta, M, M Entz, L Bell & B Vanden Bygaart. 2010. Soil organic carbon in long-term crop rotation and management studies in south central Manitoba and the Red River Valley.