Les nitrates et les nitrites dans les viandes conservées – un processus en évolution

par Tanya Brouwers

L’ancienne technique de conservation de la viande a culminé sous le format pratique de la charcuterie enveloppée de plastique que nous voyons aujourd’hui au supermarché.

 

Autrefois une tradition consacrée par l’usage pour assurer que le cochon tué perdure à travers les temps maigres, le processus de conservation a évolué en une industrie sujette à la controverse, particulièrement en ce qui concerne l’ajout de nitrates et nitrites.

Les nitrates de sodium ou potassium, soit sous forme produite chimiquement ou minée (salpêtre), ont été ajoutés aux viandes salaisonnées pendant des siècles pour :

  • prévenir la croissance des bactéries;
  • minimiser l’oxydation des lipides (gras);
  • ajouter une flaveur saumurée distinctive, et
  • donner à la viande une couleur rosée.  

Ça semble être un scénario assez simple, mais les réactions sont si complexes que les scientifiques ont étudié pendant des années pour en quantifier la chimie.
En termes plus simples, les nitrates ajoutés au bacon, à la mortadelle ou au jambon réagissent avec certaines bactéries présentes dans la viande et sont réduits en nitrites. Dans les années 1800, il fut découvert que les nitrites étaient les vrais agents adjuvants de salaison et, à partir de ce point, les producteurs ont utilisé des nitrites produits industriellement pour contrôler plus facilement et accélérer le processus de saumurage.

À la fin des années 1960, les scientifiques ont découvert qu’au cours de ces réactions chimiques, les nitrites n’étaient pas tous au travail.

Les nitrites en reste pouvaient, sous certaines conditions, réagir dans l’estomac pour former des nitrosamines carcinogènes. Les pratiques de transformation et les règlementations gouvernementales sur les nitrites ont rapidement évolué pour minimiser la quantité de nitrites utilisés. Les inquiétudes des consommateurs et des scientifiques perdurent.

Les transformateurs de produits biologiques et naturels ont cherché des solutions de rechange aux nitrites conventionnels. La réponse s’est manifestée sous la forme de légumes.

Les légumes sont d’excellentes sources de nitrites. De fortes concentrations se trouvent dans le céleri, la laitue, les épinards et les betteraves.  Une poudre ou un jus de ces légumes peuvent être fermentés avec une culture bactérienne réductrice de nitrate. Les nitrites qui en résultent accomplissent les mêmes tâches que leurs cousins industriels. Vraiment?

Tel que décrit ci-dessus, les réactions des nitrates conventionnels avec les composés de la viande sont complexes. Ces réactions, qui impliquent des nitrates issus de plantes, sont même plus difficiles à quantifier. Les scientifiques de l’alimentation continuent de chercher les conditions optimales de fermentation pour assurer une formation adéquate de nitrites. À cet égard, les résultats de l’industrie sont souvent variables. Pour les produits de salaison biologiques ou « naturels », la durée de conservation, la couleur et le goût sont souvent inconsistants d’un lot à l’autre.

Ces divergences soulèvent des préoccupations en matière de sécurité. Dans les viandes saumurées avec des nitrates naturels, il est impossible de mesurer la quantité actuelle de nitrites formés quand ils réagissent avec la viande. Le taux de nitrates résiduels est souvent beaucoup moins élevé que celui des produits conventionnellement saumurés.  Les scientifiques se demandent donc si les taux de nitrites sont suffisamment élevés pour inhiber la croissance des bactéries potentiellement létales.

D’autre part, certaines études ont révélé que si la poudre de céleri est fermentée pour une période prolongée, il peut en résulter des résidus de nitrites en excès. Comme mentionné précédemment, des nitrites en excès peuvent engendrer la formation de nitrosamines entrainant de possibles effets secondaires carcinogènes. 

Il est clair qu’avec le rythme de vie accéléré de notre société, les aliments prêts-à-servir tels que les charcuteries ne disparaîtront pas de sitôt. Il est aussi évident, d’après la demande croissante pour les aliments biologiques transformés, que les gens aiment que le prêt-à-servir soit un produit sain et durable. Sachant cela, les chercheurs de l’Université Laval et d’Agriculture et Agroalimentaire Canada qui participent à la Grappe scientifique biologique du Canada travaillent fort pour développer une viande naturellement saumurée qui répond à la demande des consommateurs.

Pendant trois ans, les chercheurs et scientifiques impliqués dans ce projet tenteront de développer un adjuvant de salaison de source naturelle dans lequel chaque ingrédient est responsable d’un seul aspect du saumurage – soient particulièrement la couleur attirante et le goût familier des viandes saumurées.  Ils visent aussi à créer un produit qui éliminera efficacement les agents pathogènes et la formation de nitrosamines. Le résultat pour nous, consommateurs, sera de pouvoir s’asseoir et manger des sandwichs à la mortadelle biologique dans un moment de paix apprécié, bien que trop bref.

 

Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été 2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche. Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada et le partenaire de l’industrie Olymel.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la Fédération biologique du Canada.

 

Références